Nous continuons notre série d’articles sur le design culinaire, d’hier à aujourd’hui et à la place de la créativité dans les assiettes.

Lorsque j’ai vu passer le millefeuille de Cédric Grolet dans mon fil Instagram, mon doigt a stoppé net le flux des photos, pour détailler la structure parfaite du feuilletage que j’entendais déjà croustiller ; la précision et la rondeur incroyables du pochage de la crème pâtissière ; le détail des grains de vanille a définitivement accroché mon regard et réveillé mes papilles. Le visuel seul suffisait à me mettre l’eau à la bouche et éveiller tous mes sens… L’ensemble semblait d’une construction et d’un équilibre minutieux. Les textures me paraissaient tellement précises, que l’architecture du goût ne pouvait qu’être modulé à la perfection.

En effet, la pâtisserie étant la plupart du temps une association d’éléments préparés, à la manière d’une construction modulable, où les espaces trouvent leur mesure en fonction de l’usage, la recette se construit sur un équilibre de proportions pour trouver le dosage parfait.

J’ai alors repensé à cette phrase d’Antonin Carême, qui début XIXème ne séparait pas l’architecture de la pâtisserie :

« Les beaux arts sont au nombre de cinq, à savoir : la peinture, la sculpture, la poésie, la musique et l’architecture, laquelle a pour branche principale la pâtisserie. »

Le cuisinier des rois et le roi des cuisiniers faisait référence à la dextérité que demande le métier de pâtissier dans l’assemblage des formes, des volumes et des textures.

Cédric Grolet présente son millefeuille retourné d’un quart de tour, comme pour mettre en valeur la structure de sa pâte feuilletée parfaitement développée qui ne devient plus une couche parmi d’autres, mais la structure même de son dessert.
Ceci fait écho à l’un des premier et plus célèbre exemple de design culinaire : en 2004, Marc Brétillot était le premier à oser retourner l’iconique millefeuille, le remettant au goût du jour dans une proposition radicale, à la vertical pour la Grande Épicerie de Paris.

La demande :

Procurer une identité forte et créative au département pâtisserie de la Grande Épicerie, en réinterprétant des gâteaux emblématiques de la pâtisserie française.
Depuis sa mise en vente, il reste le best-seller de la maison.

Le concept et le sens :

Le designer imagine le millefeuille au pied de la lettre : mille feuille, avec une reliure, comme un livre ou un presse papier…
Avec ce changement de perspective, un nouveau scénario de découpe et de dégustation se créé pour s’adapter à cette nouvelle forme.

Le goût :

Pâte feuilletée caramélisée, crème légère vanille et baies rouges, reliure en nougatine et chocolat.

Dans un autre style, le designer industriel Stéphane Bureaux – reconnu pour son travail sur des sujets culinaires – a proposé sa version d’un entremet mettant en lien architecture et pâtisserie :

La demande :

Concevoir une pâtisserie pour rendre hommage au designer et architecte Jean Prouvé pour le vingtième anniversaire de sa mort, célébré en mars 2004, par la pâtisserie Stef, de Nancy, sa ville d’origine.

Le concept et le sens :

Créateur visionnaire, Jean Prouvé est arrivé à l’architecture par des voies détournées, celle de la production d’éléments de construction techniquement innovants qui lui ont permis de passer à la conception globale de bâtiments et à la mise au point de procédés constructifs. Les valeurs acquises seront déclinées dans le cadre de la reconstruction de l’après-guerre pour des logements produits en série pour le plus grand nombre.

Dans l’esprit du constructeur, et dans un soucis de quête de goût et de textures optimales, les différents constituants de cet entremet sont préfabriqués et pour garantir une fraîcheur optimale, assemblés au dernier moment selon un ordre précis.
Pas de décor, à l’exception des lignes de découpe marquées au fer rouge qui permettent de réussir une répartition égalitaire des parts !
Logique constructive et justice sociale au centre de la table, dans la lignée des idées défendues par Jean Prouvé.

Le goût :

Le corps se compose de fines couches de pâte feuilletée glacées à la framboise. Du centre, émerge un tripode en biscuit de chocolat qui soutient un disque perforé en chocolat noir. À l’intérieur sont ménagés des petits puits remplis d’une crème au basilic.

Au delà du fait que ces gâteaux designés sont excellents (sinon, ils ne serait pas restés des best-sellers ou des références depuis tant d’années) ces réponses sont très formelles.

Depuis plusieurs années, au festival Omnivore, je constate une (r)évolution dans le discours des chefs, qui parlent de produits, de goût avant tout, de simplicité. Certains disent même que les futures stars ne seront plus ceux qui cuisinent, mais les producteurs ; à l’image de la scène artisans qui prend une ampleur de plus en plus grande au fil des années. (Master Artisan ou Top producteur, bientôt en prime time ?!…)
Les dressages des assiettes sur la scène salée sont de moins en moins sophistiqués. La seule chose qui compte est de ne pas dénaturer le produit et de simplement le mettre en valeur. Le plus grand initiateur de cette tendance est sans doute le visionnaire Alain Passard dont j’avais déjà entendu tous ces mots en 2012 déjà, sur un événement passionnant (et précurseur ?) mettant en scène des duos de chefs & créatifs : Paris des chefs.

La cuisine est à nouveau nouvelle ! La pâtisserie reste encore un art de la construction. Mais certains chefs – y compris le ô combien médiatique Cédric Grolet – envisage désormais le sucré autrement, avec cette même vision de quête d’essentiel.

En écoutant sa récente interview sur Bruit de Table, on peut se rendre compte que les assemblages complexes, qui mixent, broient, mélange le produit, des crèmes qui le dénature ou des associations qui brouillent les goûts, ne seront plus les préoccupations d’avenir dans les laboratoires de pâtisserie.

Certes, un gâteau ou un entremet de boutique devra toujours être bien construit et conçu intelligemment pour arriver chez le client dans le même état qu’il l’a choisie dans la vitrine. En revanche, dans le cas de la pâtisserie à l’assiette, au restaurant, Cédric Grolet met le doigt sur un métier de pâtissier encore différent.

Alain Ducasse (dont je vous reparlerai prochainement…), lui aurait ouvert les yeux sur un métier de pâtissier plus proche de celui de cuisiner. Où les textures et les assaisonnements seraient au service de la gourmandise plutôt que dans la démonstration d’assemblages d’éléments certes faite avec une grande précision, mais qui passe parfois – pour ne pas dire souvent – à côté de la performance du goût.

Le chef pâtissier du Meurice maîtrise à merveille l’esthétisme de ces créations. Mais il parle finalement peut du visuel.
Les effets de décors de ces créations sont malgré tout un point d’orgue de son succès fulgurant, notamment sur les réseaux sociaux, haut lieu du règne de l’image.
Ses desserts sont d’une apparente simplicité ; mais paradoxe, ils demandent une dextérité incroyable pour les réaliser ! Il s’agit souvent une répétition d’un effet unique qui par accumulation créé un effet sophistiqué et bluffant. Les pâtisseries de Cédric Grolet et ses équipes sont telles la haute-couture de la gastronomie. Elles nécessitent une minutie digne de véritables pièces d’orfèvrerie ou des petites mains en broderie.
L’essentiel du travail reste sur les odeurs, les goûts, le respect des matières premières et de la saisonnalité, dans ses propositions faites aux clients.
Les gens viennent pour la photo. L’expérience gustative et multi-sensorielle se doit d’être à la hauteur du visuel.

La tendance est donc au « Less is more« .

Et quelle est la place du designer dans tout ça me direz-vous ?
Le design culinaire tient une place de choix dans cette évolution de la pâtisserie. Il maîtrise la synthèse, la conception et la quête de sens sur un projet. Il est donc là pour accompagner les pâtissiers, dans une approche rationnelle, du détail qui fera la différence, au service du goût.

La complémentarité des savoir-faire emmène les créations toujours plus loin.

Images :
Masterclass Cédric Grolet à Melbourne via Instagram
Marc Brétillot, Millefeuille Vertical pour la Grande Épicerie de Paris © Hervé Ternisien
Stéphane Bureau, Entremet Hommage à Jean Prouvé pour la Pâtisserie Stef
Jean Prouvé : La Maison Tropicale via Mondo

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