Dans les quelques lignes qui me présentent, je vous parlais d’un paradoxe qui me définit : je suis à la fois terriblement sensible aux choses, aux belles choses, et j’ai donc plein de petits trésors qui enchantent mon quotidien. La plupart sont ordonnées dans de belles boites, ne laissant pas trop de place au désordre ! Mes petits containers personnels… des souvenirs de voyages, des objets avec plus ou moins de valeur, mais qui en ont à mes yeux, pour diverses raisons et dont j’ai du mal à me séparer.
Ma bibliothèque se remplit aussi depuis quelques années d’ouvrages que je lis, que je médite, et qui me font fantasmer, sur la quête de simplicité, et la réduction d’objets qui nous entourent. (Dominique Loreau, L’art de la simplicité, ou KonMari La magie du rangement).
Les personnes qui me connaissent bien savent qui ma vie est très régulièrement ponctuée de grandes « phases de vide » (ou du moins, de rangement). Petit à petit, je me sépare de choses. Il me faut toujours un temps certain pour appréhender ce casting. L’espace d’un instant, celles que je décide d’élire, et de garder respirent, sont mises en valeur, l’espace circule dans mon intérieur, et je ressens une nouvelle énergie qui circule. Et puis ça se rempli à nouveau ! Jusqu’à cette impression de trop-plein qui recommence !
À ce cercle sans fin s’est ajouté l’enchaînement non calculé suivant, qui réoriente mon regard.
À l’automne dernier, j’ai eu la chance de vivre une semaine dans une maison traditionnelle japonaise. Un espace de vie recouvert de tatamis. La conception et la structure même de l’habitat intègre des placards très profonds dans lesquels on peut ranger tout le nécessaire, en laissant seulement quelques objets sélectionnés qui donnent vie à l’espace. On s’assoit à même le sol, pour travailler ou manger sur une petite table basse. Et pour dormir, on sort simplement un futon du placard, que l’on replie et range chaque matin. Cette expérience ne m’a pas du tout mise dans l’inconfort et que j’ai même beaucoup apprécié cette façon de vivre au quotidien.
Rentrer chez moi, m’a donné l’impression encore plus prégnante de vivre dans un espace encombré de meubles et plein comme un œuf !
C’était aussi le moment où je formalisais ce projet de blog, avec comme fil conducteur de parler de choses bien pensées, avec une histoire, ou de choses qui racontent des histoires ou donnent à penser. Des choses matérielles, mais avec lesquelles j’entretiens une sorte de relation sentimentale parce qu’elles sont comme intelligentes. Ces objets que je choisis ne sont pas justes jolis. Ils parlent de fonction, de conception, ou de pouvoir évocateur. Ce qui à mon sens différencie les mots déco et design, et qui sont bien trop souvent amalgamés.
En parallèle, je lisais le livre Zéro Déchet, de Béa Johnson. Son propos, certes radical, m’est apparu plein de bon sens. Ce qui y est expliqué consiste, pour le b.a.-ba à repenser sa manière de vivre en réfléchissant un peu plus. Il suffit de considérer uniquement les objets utiles et éliminer les autres qui ne sont pas essentiels. Réfléchir avant de prendre, avoir et gaspiller. Tous les ouvrages que j’ai pu lire vont dans le même sens : penser vivre ainsi simplifie la vie, permet de gagner du temps et de se focaliser sur les choses fondamentales et rend plus heureux et plus libre.
Puis, comme tous les 6 mois, je suis allée au Salon Maison et Objets. J’y allais comme d’habitude, « voir la nouveauté » et les nouvelles histoires de tendances. Pour savoir avant tout le monde, ce qui va être à la mode demain.
Mon contexte mental était donc un peu différent après ces différentes expériences. Et mon regard était comme transformé.
Tout d’abord, depuis des années, trois ambiances représentaient la thématique de la saison à travers trois regards et trois interprétations différentes : les délires souvent kitchs de Vincent Grégoire de l’Agence Nelly Rodi, la vision toujours poétique et artistique d’Elizabeth Leriche, et la vision souvent plus orientée design François Bernard. Et là, quelle ne fut pas ma surprise en découvrant qu’il ne restait plus qu’un espace ! On nous imposait la lecture du thème WILD, par l’agence Croisements. Au passage, on perdait en histoires, en évocations, en interprétations. L’œil se focalisait sur une seule lecture.
Cette année, la nouvelle tendance à suivre est l’esprit Wild, autrement dit sauvage. L’espace d’inspiration mettait en avant l’artisanat rustique ou tribal, le bois, les matières naturelles ou industrielles mais toujours avec un côté brut, et l’évocation d’une ballade rustique dans les bois ou la matière bois… On évoque un retour à l’essentiel, à l’état élémentaire, à la nature, au sauvage. On touche au sacré, voire au surnaturel… Quand à la librairie elle nous vendait des récits de roads trip en van et des rêves de cabanes, et une double page sur la cuisine de peu de Caroline Lopez dont je vous parlais ici.
Mais quel sens donner à tout cela, quand en déambulant dans les allées du salon, j’étais envahie par l’impression que la Chine avait déversé ses containers et nous inondait d’objets certes séduisants, mais tous plus inutiles les uns que les autres ? Sans fonction, sans réflexion. Juste de la tendance pour le salon, des trucs nouveaux sans l’être fondamentalement, des éternelles thématiques que l’on nous ressort à des sauces un poil différentes tous les ans. Des objets de déco. Des choses qui font consommer, qui remplissent les maisons, qui prennent la poussière, que l’on ne regarde plus au bout de 6 mois, et que l’on remplace par d’autres tendances digérées par le ventre de l’Asie dès que l’on est lassé.
Je n’arrivais pas à trouver du sens à ce grand déballage. C’était l’indigestion.
La tendance brute et artisanale du salon s’incarnait bien plus dans l’espace des métiers d’art qui exposait les travaux d’artisans tous plus beaux les uns que les autres. Empreints d’histoires, et de la main de leurs créateurs.
De très beaux courts métrages racontant l’histoire et les dessous de ces objets m’ont transportée dans les univers créatifs de ces artistes.
L’espace des Ateliers de Paris présentait le projet Kyoto Contemporary : collaborations entre de jeunes designers parisiens et des artisans japonais, avec pour volonté de créer des objets adaptés au style de vie européen, tout en valorisant la noblesse de l’artisanat japonais. Un dialogue entre tradition et modernité, entre savoir-faire et fonctionnalité. Une véritable intelligence de la main et des objets, et un moment de réconfort au milieu de ce grand déballage.
Et puis il y a eu le film Demain. Je suis ressortie enthousiasmée de cette projection. Remplie d’espoir sur un avenir possible. Ce n’est pas un constat écologique larmoyant et moralisateur. Ce documentaire est un tour du monde de solutions déjà mises en place et qui fonctionnent. Cyril Dion et Mélanie Laurent nous montrent que partout, des solutions existent. La clé de tout cela est basée sur l’humain. Le levier de changement est à notre portée : c’est la relation entre tous ceux qui se sentent concernés qui permet de transformer les modes d’élevage et d’agriculture, la mobilisation politique, les énergies, l’économie et pouvoir donner une meilleure éducation à nos enfants…
Demain présente une façon de penser différente de ce que sont devenu des systèmes dont on croit qu’on ne peut plus sortir.
Certains ont déjà fait le choix de l’avenir et que cet avenir est possible sans pour autant abandonner totalement nos modes de vie et partir élever des chèvres dans le Larzac ! Des individus, des entreprises, des villes, ou des pays entiers ont choisi de faire autrement dans le monde d’aujourd’hui. Créer différemment, consommer différemment, partager différemment, fonctionner différemment… Pour vivre dans un meilleur présent et offrir un meilleur avenir aux enfants qui construiront les sociétés de demain. Loin de tout cliché écologisant ou de toute naïveté bien pensante, tout ceci est illustré simplement au fil d’exemples concrets.
Je suis sortie regonflée à bloc de cette séance : en sortant du cadre, il est possible de changer le monde.
Cet enchaînement de choses fait sens pour moi.
Le designer est un être qui observe, qui analyse, qui pense, et qui peut apporter des solutions pratiques.
Au-delà de la « tendance » ou des objets industriels produits en masse pour une consommation sans réflexion qui nous ruine, le designer a sa place dans les changements à apporter à nos modes de vie.
J’ai été élevée dans un environnement qui m’a ouvert les yeux sur les apports du design dans la vie quotidienne. Je me suis très jeune orientée vers des études d’arts-appliqués. Les arts « appliqués à la vie » donc : l’étude des objets, où les formes et les fonctions sont décortiquées afin de mieux comprendre pourquoi les choses, les espaces, les vêtements, sont conçus d’une façon et pas d’une autre. J’ai toujours été attentive aux choses pratiques et je me questionne toujours sur les améliorations à faire à celles qui ne sont pas bien réfléchies. Et je pense sincèrement que les objets bien pensés peuvent nous simplifier la vie (ou inversement !).
Je suis persuadée depuis des années que le design devrait être enseigné à l’école au même titre que l’histoire. Parce que l’histoire des choses, de l’art nouveau à la révolution industrielle, en passant par le Bauhaus, font parti de notre quotidien et de notre culture générale. Avoir conscience de ces angles de réflexion peut aider n’importe qui à mieux penser, à avoir un regard critique sur les objets et les espaces, et amener tout un chacun à mieux consommer.
Je pense vraiment que toutes les questions qui sont posées dans Demain (le film), et parmi toutes celles que demain nous posera, le designer a son regard et son bon sens à apporter.
Réfléchir, sur les choses qui nous entourent c’est vivre mieux.
C’est avec toutes ces questions ouvertes, que j’ai eu envie de faire encore plus écho au nom de mon blog, et d’inaugurer une nouvelle rubrique : PENSER.
Et vous, qu’en pensez-vous ?!