21 Mai 2019. Je rentre de La Conche, colloque de 2 jours sur les nouveaux enjeux du métier de chocolatier. Échanges, rencontres, agitation d’idées et débats passionnants : alimentation durable et responsable, à travers les choix des produits, des producteurs, les questions nutritionnelles posées par le sucre, les réglementations sur l’utilisation des colorants alimentaires… les solutions de coloring food naturel ou encore les perpectives créatives qui découlent des évolutions du métier. Des débats passionnants entre la centaine de professionnels présents et nous, intervenants. *
Sur le retour, la tête encore pleine de ces riches échanges j’allume par curiosité le nouvel opus « Le choc des Nations » de l’émission Le Meilleur Pâtissier Professionnel d’M6. Dans la bande-annonce, Cyril Lignac décrit cela comme « Notre coupe du monde à nous ». Prometteur…
Et là, c’est le drame ! Choc immédiat avec les 2 jours que je viens de passer où l’on a réfléchi avec la profession pour inscrire la chocolaterie (et la pâtisserie) dans des cercles – image, production et consommation – vertueux. Je suis littéralement effarée de voir comment on montre le métier de pâtissier à la télé : des pièces moulées constituées de guimauve (que les candidats n’ont même pas pris la peine de fabriquer), fondue au micro-onde mélangée à des céréales industriels malaxés à la main… Je crois rêver ! C’est cela que l’ont appelle une coupe du monde de la pâtisserie en prime-time ?
Et cerise sur le gâteau : la thématique imposée à ces candidats spécialisés dans le « cake design » est la « haute couture ». Comme si cela était l’excellence, de l’artisanat et la créativité… (à la Française). Je tiens 8 minutes montre en main devant ce désastre et je coupe tout.
Où est le geste de l’artisan pâtissier ? Où est la mise en valeur et le respect des produits que l’on défend sur tous les fronts actuellement ? Est-ce que parler du tempérage du chocolat n’intéresserait pas le public et leur montrerait le vrai savoir-faire du travail de cette matière extrêmement technique, plutôt que de faire couler du chocolat à la fontaine sans aucun travail ? Ces émissions aiment dire que la pâtisserie est un art. Ne le serait-elle pas d’autant plus si l’on voyait les candidats sculpter, modeler, travailler véritablement la matière, plutôt que de mouler des pièces à la chaîne ?… Mettre en avant le travail de la main, de l’artisan. Dieu sait qu’il est impressionnant, captivant, générateur d’images magnifiques et donc télégéniques !
Pour avoir échangé avec Pierre Hermé brièvement sous un de ses post Instagram : bien entendu, le jury ne fait pas le casting et ne choisit ni les thématiques, ni les recettes. Il est là pour conseiller et apporter sa connaissance et son aide aux candidats. Mais cela est peut-être malheureusement trop souvent coupé et peu visible, car moins spectaculaire qu’une jeune fille qui font en larmes à la seule vue d’un pâtissier de renommée internationale. Si le jury n’est pas responsable de la production, de la sélection, des sujets et du montage, par leur simple présence, ils prêtent leur caution à ce genre de spectacle qui véhicule une image erronée de leur profession…
Je m’adresse donc à la production de M6 : pourrait-on profiter de l’audience de ces émissions pour délivrer des messages plus réalistes sur ces métiers d’artisanat ?
Serait-il possible de ne pas complètement vulgariser, voire dégrader, l’image de ces métiers ?
Pour en revenir aux débats avec des professionnels présents à La Conche – entre autres – les jeunes qui admirent ces métiers à la télé et qui choisissent de s’engager dans cette voie sont rapidement déçus car ces émissions montrent une facette complètement fausse de ses professions. Alors qu’il est assurément possible de faire rêver avec le vrai savoir-faire –bel et bien existant – et encore plus spectaculaire que tout ce cirque !
Quid des (bons) produits, on en parle ? Je pense que nos nouveaux enjeux planétaires peuvent être traités aussi dans des émissions de divertissement sans être perçus alarmistes ou rabat-joie. C’est comme cela aussi que la pédagogie se fera à tous les niveaux pour engager de vrais changements, vitaux pour la planète et pour l’avenir des métiers de bouche. Citer Camille Labro à la suite d’un sujet comme cela peut paraître sans transition ! Mais elle a elle-même parlé lors du lancement de La Conche de ces émissions qui pourraient « élever le débat » en « créant pourquoi pas un Top chef Green pour la 11ème édition« … ne négligeons pas les attentes du public et les retombées de ces émissions sur la société. Dans son livre blanc de la gastronomie responsable, elle dresse un plaidoyer pour revoir les codes, les us et coutumes, les systèmes et réfléchir ensemble, aller au-delà des mots, adopter des gestes et des actions, former une grande chaîne de citoyens décidés à avancer ensemble, conscients du rôle fondamental qu’ils peuvent jouer.
Il n’y a pas de simples spectateurs. Nous sommes en fait tous acteurs et « il est temps de se régaler avec bon sens et en conscience ». Élevons le niveau de ce qui est proposé à voir, nous en sortirons tous gagnants !