Si je reprends les notes de ma candidature à l’ESAD de Reims en 2012, la question du temps était ma clé d’entrée pour faire le lien entre mon métier de styliste et l’univers du culinaire. La notion de durée dans des univers de l’éphémère est le fil rouge de mon questionnement sur l’alimentation.
Les cycles de la mode créent un désir nouveau et renouvelé chaque saison, à chaque collection. Sur un autre plan, la question des saisons me semble essentielle lorsque l’on parle de cuisine et de produits. À l’échelle du comestible, cette notion de saisonnalité devient beaucoup moins futile, et redevient une nécessité dans les préoccupations actuelles et environnementales. Au-delà des grands chefs qui subliment les racines oubliées en hiver, je pense qu’à une échelle quotidienne, il est possible d’inventer, de créer du désir sans manger des fraises en décembre, et de faire de cette question des saisons, issue de la mode, un point de départ à des pistes de réflexions.
Paradoxalement dans un air du temps hyper accéléré, se nourrir, c’est respecter un tempo immuable. Temps de préparation, de dégustation, de digestion. Rythme des saisons, temps de repos, de macération, de décantation, d’infusion… La cuisine est une création éphémère, qui laisse des impressions, des émotions, plus ou moins vivaces ou pérennes. À travers le temps, les âges et les passages de générations, elle repose sur des souvenirs et sur une certaine transmission, familiale, ou culturelle.
Ces questionnements ont été le fil conducteur de toute mon année de recherche en design culinaire à l’ESAD de Reims.
Je me suis intéressée à toutes les techniques de conservation : dans le sel, le vinaigre, l’huile, le sucre… Déshydrater, congeler… J’ai passé mon diplôme entourée de bocaux… À un moment où ce n’était pas encore tant à la mode dans les cuisines. Il ne s’agit pas d’arrêter complètement le temps, à la manière d’une « nature morte » mais de le ralentir, telle une « belle endormie », que l’on viendrait réveiller avec la bouche, par le toucher, le goût ou la dégustation.
Si la conservation n’intervient pas, le temps fait son effet, tout aussi inspirant en terme d’esthétique.
J’ai été fascinée par le travail de l’artiste Kathleen Ryan, New-Yorkaise qui réalise des séries de sculptures de fruits moisis en pierres précieuses. L’illusion de moisissure est recréée à base d’opales, de quartz fumés, de malachites, pour faire illusion. Des citrons, poires, oranges pourris deviennent hypnotisant dès que l’on sait de quoi ils sont faits…
Le photographe Peter Lippman a lui aussi magnifiquement mis en lumière cette esthétique de la décomposition dans une série de photos pour le magazine Marie Claire.
Il y a quelques années, j’ai soufflé à l’oreille d’un chef que l’esthétique de la conservation était riche en inspirations visuelles pour raconter une histoire forte sur le passé et l’avenir de notre alimentation. Nous en étions tous intimement convaincus. L’idée a été vite abandonnée, car une fois partagée, il est apparu que jouer sur cette esthétique si belle soit-elle mais si peu noble aux yeux du plus grands nombre, était une carte créative bien trop risquée à jouer dans le cadre d’un concours.
Alors quand Burger King fait la promo d’un Whopper moisi pour vanter ses produits sans conservateur, cela me fait doucement sourire.
Cette idée folle serait-elle en train de devenir mainstream ?